Les constructeurs doivent-ils craindre les rappels automobiles ? Retrouver tous les vendredis la chronique de Bertrand Rakoto, analyste marché automobile et spécialiste en veille concurrentielle et stratégie produit. Après plusieurs années passées chez Polk, Bertrand Rakoto mène désormais une activité de formation et conseil sous le nom D3 Intelligence. L’affaire Toyota a mis en première page les rappels automobiles. Des millions de véhicules sont convoqués suite à des accidents mortels et un défaut de conception est mis en évidence. Les constructeurs automobiles n’ont jamais apprécié avoir à faire des rappels. Plusieurs raisons expliquent cette crainte. Tout d’abord, les coûts engendrés par la résolution d’un problème. Mais aussi les risques en terme de fidélisation des clients et enfin la communication et l’image, « un investissement en termes réputationnels » pour reprendre le titre d’un article de la Revue Economique et Sociale (1). Dans certains cas, un rappel est un bon moyen d’inviter le client à se rendre dans un point de vente, dans d’autres cas, c’est reconnaître s’être trompé et devoir assumer cette erreur. Le paradigme risque financier et image est très délicat à maîtriser d’autant qu’il s’agit de manipuler la communication de crise, un véritable numéro d’équilibriste. Cette situation délicate n’est pas nouvelle. Les rappels remontent aussi loin que les constructeurs ont conscience qu’un client satisfait et en bonne santé est plus fidèle qu’un client abonné à l’atelier ou aux urgences. La mémoire des passionnés reste marquée par le rappel des moteurs Pont-à-Mousson effectué sous les ordres des nouveaux gérants de Facel Vega. Mal géré, inapproprié, il a précipité le déclin de l’entreprise. Entre les rappels silencieux et les officiels, la crainte du rappel est belle et bien présente, si bien que certains constructeurs tentent de passer entre les mailles du filet et cherchent à éviter la coûteuse opération. GM avec ses commutateurs d’allumage en fait actuellement les frais. Dans ce cas, les dommages sont largement plus importants que les risques initiaux. Le bilan pourrait être financièrement lourd d’autant que la sanction de la part des clients pourrait aggraver les seuls coûts du rappel et d’une éventuelle amende. Effectuer ou non un rappel est une question de coûts, mais la question de l’impact marketing n’est mesurable qu’a posteriori. Au fil des années d’indéniables améliorations ont été apportées à la qualité des véhicules. Une automobile est constituée de 10 000 pièces environ. La sureté de fonctionnement doit s’assurer que le véhicule est digne d’être commercialisé, mais malgré cela le risque subsiste. Ces dernières décennies de nouveaux problèmes ont vu le jour. Le multiplexage et l’électronique sont à l’origine de conflits ou de pannes intermittentes de certains modules. Le downsizing a augmenté les contraintes infligées aux pièces mécaniques. Les plateformes communes ont changé la nature du carry over devenant horizontal (sur toute la gamme) et non plus vertical (de génération en génération). Et enfin, la pression des services achats et la réduction des temps de gestation et de commercialisation ont joué elles aussi leur rôle sur la qualité. Les progrès en matière de conception et d’assemblage semblent suffisants pour contenir l’arrivée des nouveaux problèmes. Les statistiques disponibles tendent à prouver que les rappels seraient moins nombreux. En France, les rappels de véhicules susceptibles de présenter un danger pour les usagers de la route doivent être déclarés auprès du ministère des transports. En 2010, 219 rappels ont été déclarés, en 2011 ils n’étaient plus que 149, puis 113 en 2012 et finalement 97 en 2013. Toutefois ces statistiques sont à prendre avec beaucoup de précaution et ne prouvent rien. La majeure partie des rappels ne sont pas déclarés puisque notre administration est assez floue et laxiste sur le sujet, contrairement à la NHTSA aux Etats-Unis. L’inverse, dire qu’il y a de plus en plus de rappels n’est pas vrai non plus. La qualité automobile a toujours soulevé des interrogations. Le cas des régulateurs de vitesse Renault avait inquiété. Pourtant le problème n’a jamais été prouvé officiellement et il y a de fortes chances que dans la plupart des cas, le problème se trouvait entre le siège et le volant. La surmédiatisation des rappels est intervenue avec l’affaire Toyota pour deux raisons. Tout d’abord, les volumes mis en cause étaient impressionnants. Ensuite, il s’agissait de Toyota, dont le fond de commerce est la qualité. Rien n’obligeait le constructeur japonais à rappeler autant de véhicules, il pouvait se limiter à certaines séries seulement. Plusieurs semaines ont été nécessaires pour que le constructeur prenne conscience de l’ampleur du problème et réagisse de façon proportionnée. Le risque d’écorner son image et décevoir ses fidèles clients était trop important. Depuis, les médias mentionnent régulièrement les rappels les plus importants en volume. Le message adressé par certains médias n’est pas toujours très clair. Positif ou négatif, c’est selon le support. Pourtant, un rappel représente la prise de responsabilités d’un constructeur de gré ou de force, face à une erreur de conception ou de production. Il arrive que les coûts soient partagés avec un équipementier si la responsabilité de celui-ci est mise en cause. La démarche de rappel s’inscrit dans la continuité de l’activité de conception, de vente et d’entretien d’une automobile. La nature du problème peut parfois rendre hésitant le constructeur. Un rappel qui trouve son origine dans une négligence comme c’est le cas avec GM est difficile à gérer car l’impact sur l’image sera nécessairement négatif. La seule solution est d’assumer, de façon totale et transparente. Un rappel inhérent à un défaut de conception reste complexe à gérer mais il ne va pas être sanctionné systématiquement par les clients. Par nature, il pouvait être ignoré de bonne foi à la commercialisation du véhicule. Le rappel doit être planifié dès l’identification faite et l’action corrective définie. L’anticipation, l’attitude proactive et volontaire priment dans ce type d’action. Un constructeur qui prend son temps et tente d’échapper au rappel s’expose à un risque de non renouvellement d’achat. Ce coût est difficilement quantifiable et les visions parfois court-termistes telles que pilotées par les achats ou la finance sont de nature à augmenter les risques sur le marché. L’impact sur le moyen et le long terme est catastrophique. D’après Warren Buffet, « Il faut vingt ans pour construire une réputation, cinq minutes pour la détruire. » Les constructeurs ne sont pas soumis à une telle facilité de destruction car leur histoire et leur image est souvent parfaitement installée dans le paysage automobile mondial. Cela étant dit, la répétition d’erreurs peut rapidement accélérer la destruction de l’image de qualité et de responsabilité. Les constructeurs peuvent craindre les rappels pour des raisons financières ou « réputationnelles ». Ces difficultés ne doivent pas être négligées au moment d’évaluer l’ampleur de la tache. Comme le veut l’adage, un client est plus fidèle après la résolution d’un problème qu’un client qui n’a jamais eu de problème. Il est éventuellement possible de réduire le nombre de rappels avec des politiques d’achat plus cohérentes. Des définitions techniques figées très en amont de la commercialisation permettent également à la sureté de fonctionnement de mieux tester les véhicules. Mais malgré cela, les rappels ne pourront disparaître et les constructeurs doivent les assumer. Dans ce cas de figure et malgré le coût qu’ils peuvent représenter, il peut s’agir d’une opportunité d’améliorer la relation client, à travers la qualité de service et une écoute des besoins. La communication est primordiale, aussi bien au niveau corporate avec les médias que personnelle avec le client. Les situations de crise ont été nombreuses ces dernières années, aboutissants aussi bien à des échecs, qu’à des succès, malgré les coûts. La recette miracle n’existe pas, mais une réponse appropriée à la gravité de la situation peut transformer une campagne de rappel en une véritable campagne de communication et de fidélisation. Bertrand Rakoto